Sofy Engel
Envie de tout péter
Et de t'extraire le cerveau à coups d'ongles
Pour manger cette vie que j'avais imaginé comme étant la mienne.
Mon imagination s'est trompée, ce n'est pas ma vie que j'ai imaginée.
Mon imagination s'est trompée, je croyais me connaître alors que je suis une autre.
©Sofy Engel
Dimanche 26 février 2023
Mes souvenirs sont intacts et nombreux. Les 3 qui suivent se rappellent à moi régulièrement en ce moment. Et leur écriture s'est installée dans ma tête hier soir.
Je dépose ici ces trois moments d'une autre vie, d'il y a presque 40 ans.
Le pain au chocolat.
J'ai moins de 6 ans. C'est un petit matin au fond de mon lit quand où tout est calme. L'obscurité est douillette, blottie dans la couverture chaude de la lumière du couloir. J'entends ma mère ouvrir la porte de l'appartement depuis mon demi sommeil, j'entends ses pas aller et venir sur le plancher qui craque. Elle entre doucement et me réveille en posant à côté de mon oreiller un pain au chocolat qu'elle vient d'aller chercher à la boulangerie d'à côté. Puis elle repart en catimini.
J'adore les pains au chocolat. Celui-ci embaume à côté de mon nez et se mélange à ma douce torpeur de soleil intérieur et de rêves. Il est doré et croustillant et me tient compagnie lorsque je me rendors bienheureuse.
Ma première pensée quand je me réveille et que je le vois toujours sagement posé à côté de moi, c'est qu'il est surprenant que j'ai trouvé meilleur de me rendormir plutôt que de le manger. Il est froid maintenant et il fait jour. Les volets sont ouverts, Il a dû se passer plusieurs heures.
L'environnement arrive à ma conscience. Ma mère et mon frère, d'une vingtaine d'années, se disputent non loin de moi. Je vois mon frère bandir une baguette de pain comme une arme contre elle. Ma mère me sort du lit et commence à m'habiller. "Mais pourquoi ils crient?" Je ne comprends pas le sujet de leur dispute. Je ne les comprends pas eux et leurs gesticulations, ni cette réalité.
Je suis assise en hauteur sur la table à repasser, là où ma mère m'a installée pour m'habiller.
C'est une journée normale.
La crise
J'ai 8 ans.
Je vais avec ma mère psychotique et mon frère, 22 ans et schizophrène est revenu vivre chez nous.
Une nuit il fait une crise de somnambulisme. Ça me réveille et m'enrage. Je lui hurle dessus. Ça le réveille et m'enrage. Il me soulève du lit à la verticale en le saisissant par les cheveux. Il m'attrape les pieds et me porte à bout de bras avant de me jeter du haut de sa taille sur le matelas. Il grince sous mon poids et je ressens les vagues des ressorts.
Je ne me souviens d'aucune sensation. Ni mal, ni peur.
Plusieurs décennies plus tard j'ai réalisé que mon lit était contre un mur, contre lequel j'aurais pu cogné en retombant. J'aurais eu une autre vie.
L'ambulance
J'ai 8 ans.
Mon frère ne va pas bien.
Il dort étendu par terre sur un tas de linge derrière une porte.
Ma mère semble inquiète et je ne comprends pas ce qui l'inquiète. Moi ce qui me touche c'est ce taudis où je vis. Et cette image de mon frère peletonné dans des tas de vêtements parce qu'il n'y a pas lit pour lui.
Et il manque des étapes à ce souvenir.
Mais juste après je suis dehors sur la place avec ma mère et je me rappelle les éclats bleux des lumières de l'ambulance.
Mon frère venait de faire une tentative de suicide. Peut être pas la première, pas du tout la dernière.
Je l'ai compris beaucoup plus tard et j'ai pu ranger ce souvenir.
Jeudi 16 mars 2023.
